Nous avons trop pleuré. La vallée de larmes est devenue océan sur lequel aucun navire ne flotte. Pas de trajets possibles sur cette étendue qu’il convient dorénavant d’assécher par nos éclats de rires ; de remplir de toutes nos jubilations le fleuve qui coule en son centre ; de construire sur ses berges maisons sur pilotis ; de préparer barques, navires, vaisseaux pour nos explorations futures ; enfin de noyer, sans sommation aucune, les cyniques avec leur désespérante et inutile lucidité. L’écrivain n’est pas un de ces tristes sires. Il est plutôt cet intranquille qui cherche l’apaisement sur le bord du ponton du fleuve, cherchant son trajet des yeux. Sur la photo, il vient de plonger à l’instant pour connaître aussi le milieu où il va dessiner son chemin d’écumes. Et ce trajet est paradoxalement toujours le même et jamais le même. Trouver le trajet nécessite de longues flâneries au bord du ponton pour regarder le monde et… voir le monde. Tous les voyages sont possibles et les hommes ont besoin de lignes pour circuler, voyager, se promener. La ligne droite n’est pas forcément le meilleur parcours. Les zigzags des cimes des montagnes ? Un plus sûr moyen de trouver l’invisible. Le métier de l’écrivain est de créer ces lignes, ces routes et ces chemins ; de compléter les cartes ancestrales tracées pour garder mémoire des trajets. Et l’écrivain devient une sorte d’aborigène connaissant le chant des pistes. Impression qu’aujourd’hui, toute notre vision repose sur une cartographie de l’espace qui ne laisse plus la place à l’imprévu, au non-inscrit, à l’imprévisible. Nous avons trop pleuré et nous étouffons. Sur le bord du fleuve, heureusement, il y a toujours du vent, qui mènera barques, navires, vaisseaux vers l’océan ; qui lui, dans sa grande sagesse, ne proposera que son étendue et ses abimes, mais pas seulement que ces abimes. Et la vie ne ressemble pas à celle convenue du nageur olympique, contraint de suivre sa ligne en un temps record. Mirages. Les lignes ne sont-elles devenues que béquille ou guide moral ? Une fuite, une peur d’inspirer ou d’expirer. Nous avons trop pleuré… Maintenant, respirons…
Silence alias Franck Queyraud
Magnifique texte qui coule de source et sur lequel j’ai adoré naviguer.
Merci Pierre 😀 et merci Xavier pour cet échange !