Cela pourrait être n’importe où, des rochers en bord de mer comme il en existe des milliers, et pourtant c’est chez moi, nulle part ailleurs je me sens autant moi-même, j’ai l’impression d’être ce vent fort qui balaye sans arrêt l’océan, les falaises et les rochers gris, je m’absente un long moment dans le paysage, je suis le paysage, je suis ces rochers, ces falaises, ces embruns, cet océan agité, ces nuages qui passent à toute vitesse, je me sens alors paisible et heureux, libre, léger, ailleurs, pour une fois, j’ai l’impression de sourire, plus intérieurement, je dois avoir l’air idiot, les rares promeneurs égarés ici à cette heure doivent me prendre pour un idiot ou pour un fou, il m’arrive parfois de tourbillonner sous l’oeil circonspect de certains, je m’en moque, c’est chez moi, c’est le seul endroit où je n’ai de compte à rendre à personne, c’est le seul endroit où j’ai l’impression de pouvoir être moi-même, je me prends à rêver d’une cabane pas loin, voire d’une petite maison avec un jardin, je fais durer au maximum la contemplation du paysage, ignorant les premiers rappels à l’ordre du téléphone portable, et puis de guère lasse, je fais demi-tour, je réponds, je rassure et je m’éloigne de mes rochers bretons.