… je ne suis jamais sortie du ravissement, ce moment rêvé de l’amour, juste après la rencontre, ce regard qui dit presque tout et pourtant, cette matière au songe quand, dans mon lit, je tente de revivre la scène, je prends le temps de goûter et d’approfondir chaque détail, le moindre bibelot, la plus petite posture du corps, tous les souffles d’air dans la pièce, toutes les mimiques, et je me laisse aller, parfois, à refaire le film pour le rendre plus intense, plus dramatique, plus violent voire effrayant, histoire de faire enfin un cauchemar. J’ai trop attendu le retour du ravissement, ce moment sublime de la découverte et l’enthousiasme du premier amour, les murmures de l’amant chinois à l’approche de la jouissance, ces mots contrôlés luttant désepérément contre l’abandon, contre l’arrivée du précipice, n’osant pas franchir ce pas vers la mort, pas si petite que cela, le Pacifique brisait toujours le barrage, je me réveillais toujours au seuil de la noyade, quand il ne faut pas, quand je voudrais tout abandonner, quand je voudrais renoncer à tout espoir de revivre ce ravissement, en dehors de l’écriture, cet amant inconditionnel qui l’hypnotise mot après mot, phrase après phrase, me laissant à bout de souffle. Est-ce ma mémoire qui me joue de sales tours? En repassant dans les mêmes paysages, l’amant est reparus, le temps d’un clin d’œil, si banal, si trivial et si triste comme un ballon dégonflé et informe, à la limite du laid mais avec un je ne sais quoi, un fin sourire, un pétillement dans le regard qui pourrait, à la limite, justifié ce fantôme de ravissement, qui me poursuit, me hante et me fait perdre les sens au point que je n’arrive jamais à trouver la sortie de mes rêves…
Tiers Livre, François Bon « en 4000 mots » | recherches sur la nouvelle