1/ Delphine Arras
« « Nos disputes, tu aimes ça ? » dit Eva. Simon lâcha avec humeur la souris de son ordinateur. Il pressa sa tête entre ses mains et sa vision se flouta. La souris avait atterri loin sur le bureau, bien au-delà de sa patinoire, une feuille blanche pliée en deux. Cette feuille accueillait jour après jour les gribouillages que Simon faisait quand il téléphonait ou réfléchissait. Il eut l’impression que le fond blanc de la feuille s’éloignait tandis que ses tracés, ratures, croquis et autres jambages commencèrent à se soulever, à se gondoler. Ses yeux découvrirent alors une cosmogonie baroque, une sorte de Basquiat de son inconscient. Quand l’image en relief se redéposa sur le papier, Simon tendit le bras pour y replacer la souris. Gardienne de ses trésors enfouis. »
Eva enlaça Simon. Elle lui déposa un baiser sur la tête, une tendresse inattendue de sa part. Eva fit tourner Simon vers elle, le siège grinçait mais ne résista pas. « Cette fois, c’est moi qui te dessine. Tu ne bouge pas et tu te laisse aller. Cela te changera. Pas de gribouillages non plus, pas d’échappatoires, pas de faux-fuyant. » Le crayon d’Eva se mit en action avec violence sans la moindre respiration ou hésitation. « Cela te met mal à l’aise, hein, cette situation? » Simon se sentit à nouveau au bord du précipice. Eva avait le don de le déstabiliser. Il finit par se laisser aller et quelques images virent petit à petit dans sa tête, au même rythme que le crayon d’Eva.
2/ Ista Pouss
(proposition 5)
« J’entends Corinne ta lumière pour le génois. Ils l’enfournent. Un ciel blanc descend par le panneau. Des pas courent encore, aider le ciel à descendre par le panneau. Et à travers la coque on entend le choc des vagues qui tapent sur la plage avant. Il y a toute une population juste au dessus de moi. J’entends tenez-vous et une nouvelle déferlante balaye tout et j’entends heureusement que tout le monde est attaché. Et le ciel continue de descendre. Il se plie, il se courbe, il entre, se love en désordre dans la soute, il s’étend autour de moi. Mon corps s’étend à mesure. Il se love aussi avec moins de crainte. Doucement enlevez l’eau, attention aux accrocs, j’entends. La furie observe une attente. La matière du génois céleste entre et enveloppe la soute de matière feutrée autour de moi. Le froid hésite et ma peau se réchauffe. J’entends mais que fait-il. »
Une couverture sèche m’a recouverte et un me bande le tibia et la mer continue sa folie. Le bateau tangue dangereusement et les craquements se multipliant, on dirait les plaintes d’un vieil homme en train de mourir. Un autre s’agite sur le pont pour rattraper une poulie au dernier moment. On dirait que la peur s’installe car ils ne se parlent plus beaucoup, et font juste les gestes efficaces d’urgence. Alors mon corps se recrispe, comme pour se préparer au pire et regarder la mort en face. Un silence, une nouvelle déferlante et un cri d’horreur.
3/ Annick Nay
(proposition 3)
« Parfois, je volais, tel Icare, dans des rêves éveillés, je traversais des heures entières, l’immensité des cieux déployés sous une voûte céleste, où chaque point lumineux, chaque étoile me ramenaient aux images de ma mémoire, des négatifs voilés par la lumière. Je comprenais mieux certaines choses que j’avais dites à l’époque à M. ou que j’avais faites, et j’entrevoyais douloureusement à quel point j’avais pu rendre les choses floues, imprécises, sans relief, invivables.Parfois, dans mes rêves lumineux, qui se jouaient du temps, j’entrevoyais, péniblement, les esquisses des négatifs voilés, comme les énigmes de ma mémoire, les esquives du rêveur que j’étais, les savantes et habiles circonvolutions propre au talent d’équilibriste que je cultivais alors, pour n’apercevoir qu’un paysage brouillé, sans perspectives , avec ça et là des taches énigmatiques, une ponctuation céleste.
Parfois je fuyais le sommeil et ses rêves et examinait avec soin tous les détails qui se présentaient, les ombres portées, les textures irrégulières, les épaisseurs supposées, les couleurs fanées, les silhouettes esquissées, les mouvements furtifs, les décors imagés, tous issus d’une lanterne magique imaginaire, abolissant quelque peu les frontières du réel, et laissant place à l’apesanteur et aux palimpsestes, je disparaissais dans un labyrinthe de miroirs. »
Parfois, je me réveillais le souffle court et les muscles crispés, mes rêves fatiguant refusaient de s’enfuir, les peurs, les courses effrénées, le noir envahissants subrepticement mon horizon, les décors gorgés de monstres, ce sentiment intense que la fuite était inutile, définitivement vaine, dans ce labyrinthe, ma vie n’étaient qu’un drôle d’équilibre entre le rêve et les étoiles, je ne savais plus où aller, tous ces chemins esquissés qui n’aboutissent à rien, tous ces délires heureux qui finissent en queue de poisson, toutes ces passions cherchant une porte de sortie, tout ce bouillonnement inutile, M. avait peut être raison.
Issu de la proposition 9 de l’Atelier d’écriture Hiver 2018 – 2019 de François Bon