Sous les nuages fuyant, ce bateau restait immobile. Une presque épave. Comme un premier amour brisé. Plus aucune brise, ni Alizée, ni vent, ni même une tempête n’arriverait à le faire bouger. Fier de lui, le bateau admirait son reflet dans l’eau et dans le ciel. Selon la météo, il était à peine visible comme s’il voulait disparaître et pourtant il attendait, il attendait patiemment, il attendait son heure, il attendait le retour, il attendait mon retour.
Apparu après une tempête, le bateau était posé en plein milieu de la plage. Personne à bord. Juste ce nom prémonitoire Saudade. Port d’attache Aveiro (Portugal), et le numéro A-6969-AL. C’était l’un de ses petits bateaux à voile portugais avec le proue élancée et décorée. Le dessin élimé par la mer représentait un paysage de montagne avec un troupeau de brebis. Il n’y a pas eu d’appel de détresse. Aucun corps trouvé sur la plage. J’ai fait appelé la capitainerie d’Aveiro. Aucun bateau à ce nom et avec ce numéro. La photo ne leur a rien dis non plus. Peut être un bateau pirate. Il était vide de tout indice.
La plage est un espace merveilleux pour marcher et rêver face à l’océan et au ciel toujours différents. Regarder au loin. Imaginer l’ile de Java, les rivages de la Floride, l’arrivée au port d’Athènes. Devenir oiseau pour survoler la coté et se laisser emporter par le vent. La nuit s’asseoir en attendant son rendez-vous. Se dire que peut être une histoire va commencer, que la solitude s’effacera enfin. Rêver de ce baiser furtif, de marcher main dans la main, de s’allonger pour regarder les étoiles et s’endormir enlacés.
Ecrire la mélancolie, c’est compliqué. Le sentiment est indéfinissable, parfois douloureux, parfois agréable. Il est beau le mot en portugais. Saudade. Si ambigüe. Je préfère décrire une ambiance, laisser s’installer la situation en l’abordant sous différents angles. L’amour laisse toujours des traces indélébiles même quand il est heureux… on garde en soi ce sentiment d’euphorie douce et d’éternité. La rupture casse et nous laisse à part, comme une île, comme le dit si bien la chanson.
Atelier d’écriture Hiver 2018-2019 F. Bon, proposition 3
À l’Univers entier, Louis Delgres vous adresse le dernier cri de l’innocence et du désespoir. Victimes de quelques individus mal intentionnés, une foule de citoyens, toujours fidèles à la patrie, se voient menacés de mort.
Alors chère postérité, accorde une larme à nos malheurs, et nous mourrons satisfaits !
Vivre libre ou mourir, tel est notre crédo.
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– Selon la première version, Louis Delgres était une idéaliste fou et beau parleur qui galvanisa son bataillon jusqu’à la rébellion et mourut joyeux en martyr
– Selon la deuxième version, Louis Delgres avait été l’amant de l’Amiral Richepance et voulu ternir son image après leur rupture. Louis Delgrès voulait vivre librement avec son amiral ou mourir.
– Selon la troisième version, Louis Delgres était un chef ombrageux et lunatique en proie à de nombreux délires. Il avait des visions liées à une consommation excessive de rhum et d’autres drogues. Tantôt il voyait arriver les bâteaux du Roi de France et faisait tonner le canon contre une mer vide, tantôt il voulait se rendre pour éviter le massacre des guadeloupéens innocents. La rumeur dit que le suicide collectif serait plutôt dû à une fausse manipulation de sa part.
– Selon la quatrième version, Louis Delgres n’est pas mort mais qu’il continue de hanter les terres guadeloupéennes et inspirerait rébellion et désir d’indépendance auprès de certains. Il serait devenu un soukounyan dont les murmures persuasifs s’entendent à coté des Fromagers, ces arbres aux esclaves… Mourir et vivre libre en fantôme.
Autour des mots, il y a un coquillage
Écume d’un rêve saisissant
autour des mots il y a un coquillage
sédiment de ces lendemains qui dansent
autour d’une phrase amoureuse.
(Journal des mots 13 avril 2019)
Atelier d’écriture Hiver 2018-2019 F. Bon, proposition 2
… je ne suis jamais sortie du ravissement, ce moment rêvé de l’amour, juste après la rencontre, ce regard qui dit presque tout et pourtant, cette matière au songe quand, dans mon lit, je tente de revivre la scène, je prends le temps de goûter et d’approfondir chaque détail, le moindre bibelot, la plus petite posture du corps, tous les souffles d’air dans la pièce, toutes les mimiques, et je me laisse aller, parfois, à refaire le film pour le rendre plus intense, plus dramatique, plus violent voire effrayant, histoire de faire enfin un cauchemar. J’ai trop attendu le retour du ravissement, ce moment sublime de la découverte et l’enthousiasme du premier amour, les murmures de l’amant chinois à l’approche de la jouissance, ces mots contrôlés luttant désepérément contre l’abandon, contre l’arrivée du précipice, n’osant pas franchir ce pas vers la mort, pas si petite que cela, le Pacifique brisait toujours le barrage, je me réveillais toujours au seuil de la noyade, quand il ne faut pas, quand je voudrais tout abandonner, quand je voudrais renoncer à tout espoir de revivre ce ravissement, en dehors de l’écriture, cet amant inconditionnel qui l’hypnotise mot après mot, phrase après phrase, me laissant à bout de souffle. Est-ce ma mémoire qui me joue de sales tours? En repassant dans les mêmes paysages, l’amant est reparus, le temps d’un clin d’œil, si banal, si trivial et si triste comme un ballon dégonflé et informe, à la limite du laid mais avec un je ne sais quoi, un fin sourire, un pétillement dans le regard qui pourrait, à la limite, justifié ce fantôme de ravissement, qui me poursuit, me hante et me fait perdre les sens au point que je n’arrive jamais à trouver la sortie de mes rêves…
Tiers Livre, François Bon « en 4000 mots » | recherches sur la nouvelle
Les mots sont cassés
Lassés de tant d’absence
les mots sont cassés
au milieu de nulle part
ils sont délaissés.
Journal des mots 23 mars 2019
Atelier d’écriture Hiver 2018-2019 F. Bon, proposition 1
(La corde sensible, tableau de R. Magritte)
J’ai bu ce nuage. Il avait le goût du risque et du merveilleux. Son miel vibrait comme un violon brisé qui faisait apparaître son cortège d’hommes en chapeau melon. Personne ne savait où ils allaient mais toujours ils revenaient devant vous admirer le ciel bleu. Vous faisant croire que quelque chose de fantastique allait survenir sans crier gare.
(La victoire, tableau de R. Magritte)
Le nuage est toujours poli. Il frappe à la porte et attend que quelqu’un lui ouvre pour sortir. Le nuage n’est pas frivole et prend son rôle très au sérieux surtout quand il s’agit de faire rêver ou d’impressionner les hommes. Le nuage se met sur son 31 et se maquille quand c’est nécessaire… un peu de blush pour donner cette illusion de profondeur ou encore ces faux cils pour avoir l’air exotique. Mais quand l’homme au chapeau melon arrive alors la bienséance n’est plus de mise, place à l’extravagance et à l’étrange.
(Le séducteur, tableau de R. Magritte)
Tout en nuages, ce bateau restait pourtant immobile. Aucune brise, ni Alizée, ni vent, ni même une tempête n’arrivait à la faire avancer. Fier de lui, le bateau admirait son reflet dans l’eau et dans le ciel. Selon la météo, il était à peine visible comme s’il voulait disparaître et pourtant il attendait, il attendait patiemment, il attendait son heure, il attendait le retour, il attendait l’homme au chapeau melon pour enfin partir au loin vers le monde fantastique auquel il rêvait.
Tiers Livre, François Bon « en 4000 mots » | recherches sur la nouvelle
20 février 2019
Les mots sont une présence
Éclats de voix lointaines
les mots sont une présence
plus qu’un écho moins qu’un souffle
demeure nuit et lumière.
(Journal des mots 13 mars 2019)
L’incertitude des mots qui saisit
Ébloui par
l’incertitude des mots qui saisit
à la gorge les peurs envahissantes
nous laissant tétanisés
face à l’explosion des possibles.
(journal des mots 13 novembre 2016)
les mots éclaboussent le temps
Danse qui vacille
les mots éclaboussent le temps
qui s’arrête sur ta peau
se laisser frôler par un rire.
(journal des mots 6 novembre 2016)
les mots étranglent parfois le sens
Mécanique étrange
Les mots étranglent parfois le sens
Provoquant une catastrophe
sur le corps tremblant des innocents.
(journal des mots 17 janvier 2016)