Entre deux bourrasques
le soleil hypnotise
faisant diversion
à l’orage qui vient
retenant son grondement
dans une noirceur d’encre
les nuages n’attendent que
les déséquilibres
pour lâcher les tentacules
du tonnerre.
Une étourdissante décontraction
Dans une étourdissante décontraction
la plume déshabille le paysage
de son habit de lumière
faisant scintiller sa noirceur.
Il y a des paysages qui font peur
il y a des paysages qui font peur, l’infini n’est pas accueillant, le vide tel un ennemi paraît déjà rempli, même les nuages n’offrent aucune échappatoire les yeux fermés il n’y a que la couleur pour repousser le cauchemar.
Imperfections blanches
Cette fine pellicule blanche ne sait pas cacher les maux de la terre. Toutes les imperfections, les vilenies, les faux semblants mais aussi les beautés, les notes d’espoir et les petits bonheurs brillent d’évidence à celui qui sait regarder.
Baiser délicat du nuage
je souris au baiser délicat du nuage
blancheur sereine
insensible aux caprices du vent.
Sous le ciel écoeurant de Bay City
Sous le ciel écoeurant
de son inexistence
aucun envol mécanique
aucune chute salavatrice
aucune errance mystique
ne sauve celle qui a tout brulé
à bout de force de
mourir de ne pas oublier
étouffée par ses fantômes
à propos du livre Le Ciel de Bay City de Mavrikakis (Sabine Wespieser Editeur)
dont mon compte-rendu de lecture est à lire ici
Je suis
Cela fait longtemps que tu es parti et toutes ces lettres ne suffisent plus. Tu me manques. Cette fois je voulais t’envoyer autre chose que des mots. J’ai demandé à Ali de faire ce dessin de moi aujourd’hui. Il est trop fort, on dirait presque une photo. Qu’en penses-tu. ?
J’essaie de ne pas grandir trop vite en attendant que tu rentres. Pourquoi es-tu parti si loin pour gagner ta vie ? Tu me manques. Ta voix qui me raconte des histoires le soir me manque. Ton petit bisou et tes chatouilles du matin pour me réveiller aussi !
Les copains se moquent de moi. Des fois, ils disent que tu fais des choses dégradantes pour gagner ta vie. Des fois, ils disent que je suis orpheline et que je refuse de l’accepter. Je suis trop petite pour leur faire du mal mais je te promets que je leur tape dessus de toute mes forces. Quand je serai plus grande, ils n’oseront plus me dire de telles bêtises.
Tu me manques. Reviens vite ! Tu me prendras dans tes bras comme avant et ils seront jaloux comme des poux. On doit encore changer de camp à cause de la guerre mais je fais comme dans l’histoire que tu m’as racontée une fois : je sème des cailloux entre chaque étape.
Tu me manques, alors, reviens très vite de ton pays d’en haut, du nord où tu as froid. J’aimerais bien que tu m’envoies aussi une photo ou un dessin de toi là où tu vis maintenant. J’ai du mal à imaginer malgré les livres de la bibliothèque.
L’instituteur dit que j’apprends bien et j’espère que tu le vois dans ma lettre.
Cela fait longtemps. Ecris-moi vite, Tu me manques. Grosses grosses bises.
Ta fille
D’après enveloppe « Je suis… » envoyé à Isartpostal
La promenade du viel homme
J’avais écrit toutes ces lignes et je marchais ce matin-là fort des mots étranges qui avaient envahi mon esprit. La ville en devenait floue. Je ne voyais plus très bien les gens autour de moi. Il me semblait qu’on me regardait comme quelqu’un de suranné. Tout était vertige, sensation tortueuse d’être loin de tout. Il y avait cette arcade soutenant un pont à jamais désert, y compris par les animaux et les plantes. Le Pont Maudit était son surnom…
J’entendais un peu la rumeur du monde, ce malstrom de bruits et de voix, la symphonie d’un monde hyperactif. Sortir ma montre à gousset semblait installer comme une pause surréaliste. Je traversais avec indifférence brouhaha et hyperactivité jusqu’à mon salon de thé. Je compris que c’était le début de ma fin quand je vis, posé sur la vitrine : « Fermeture définitive »
Ivresse du repas
Sa langue caresse délicatement le fond du verre de vin doux, le zeste du citron vert pique sa bouche, ses yeux un fiévreux cherchent un réconfort dans mes mains qui apprêtent l’entrée, des beignets de crevettes sur une sauce blanche, nos dents croquent à l’unisson ces carapaces, le poulet respire de désir libéré de sa longue cuisson à l’étouffée, son jaune curry semble alangui sur le rouge, jaune et vert de la ratatouille, nos papilles frémissent en contrepoint avec les notes sucrées du Gewurztraminer, nous suçons les os de poulet jusqu’au dernier lambeau de peau et le dessert apporte les dernières promesses d’une glace au coco se lovant dans un coulis de mangue à la menthe.
d’après la proposition 296 de la Zone d’Activités Poétiques Marelle qui s’inspire de Désir, Frédérique Dolphijn, Loren Capelli, esperluète éditions, 2006.
Pétrification
Tout mouvement est danger de mort
L’oxygène ne manque pas
mais le corps n’ose plus
absorber l’extérieur
bouger et ressentir
même la parole
les odeurs
l’air
pétrifie