La salle vibre de toutes ses notes. Le tonnerre des cuivres s’enfonce jusqu’au dernier rang. La voix de la chanteuse s’apprête à saisir le cœur du public. Le chef d’orchestre sourit sérieusement devant la perfection des enchaînements et le silence des spectateurs est éloquent. Je répète encore dans ma tête le passage qui m’incombe. J’imagine les notes qui s’entortillent autour du cor. Le rythme s’accélère. Je sens l’instrument qui frémit. J’harmonise ma respiration avec le tempo de l’orchestre. Je prends mon souffle, je pose ma bouche et je lance cette note jaune qui va surprendre tout le monde.
le visage sur la pierre
Ce visage en pierre ne m’est pas apparu en rêve, j’avais l’impression de le caresser sur ce mur, il lui manquait juste des contours et de la couleur, chaque jour j’hésitais, j’avais peur, j’avais peur qu’on se moque, j’avais peur d’attirer l’attention, j’avais aussi peur d’être déçu par mon dessin, car chaque soir j’essayais d’affiner ce visage mais les contours s’effaçaient dans ma tête et le flou l’emportait toujours, alors je ne pouvais plus me dérober, j’achetais les crayons gras et une nuit je suis venu la dessiner, je n’avais pas besoin de lumière, à partir des reliefs du mur le visage s’est matérialisé peu à peu, les noctambules ne faisaient pas attention à moi, j’étais déjà un fantôme et quand tout fut finis, je suis repartis sans regarder et j’ai attendu le lendemain, mon retour du travail, pour passer devant et la découvrir, depuis je souris tout le temps même si ce dessin éphémère n’en a plus pour longtemps, comme moi .
l’heure du thé
C’est l’heure du thé, j’attends sa visite. Il règne un doux parfum de fleurs créant un havre de paix alors qu’il fait mauvais dehors. Je suis impatient qu’elle arrive. Nos conversations futiles ou sérieuses s’enfilent comme un beau collier de perles. Elle a ses petits moments d’absence, le regard posé sur un nuage. Elle a ses petits sourires enigmatiques lorsqu’elle ne veut pas répondre à l’une de mes questions. Quand elle parle de son âge et de son Alzheimer , elle balaie d’un souffle mes dénégations. Il reste si peu de temps à notre amour, j’espère qu’elle ne sera pas en retard.
je suis flou et il suffirait de pas grand chose pour que je m’envole
Dès que le temps le permet, j’enfile mes chaussures de marche et je vais traîner sur le chemin des douaniers. Les plages, les falaises, la côte sont toujours belles quelque soit la météo. Je marche longtemps mais je prends mon temps et je m’arrête souvent. Je regarde, j’observe, je m’imprègne, je voudrais me fondre dans le paysage, j’essaie désespérément de comprendre ce que j’ai sous les yeux, pourtant, tout s’échappe, tout s’enfuie et la mer change, se dérobe et résiste à toute approche. A la fin de mes balades désespérées, je flotte, je me sens ailleurs, je suis flou et il suffirait de pas grand chose pour que je m’envole. Des mots essaient de se poser et de s’accrocher dans ma tête, je reste à coté de toutes ces syllabes ou de ses phrases qui voudrait s’imposer, s’incruster et écorcher ma peau avec leur flot de questions, je ne peux pas courir, je ne veux plus me presser, je suis à bout de force, à bout de sens, comme si je ne pouvais attraper aucune clé qui se présente sur mon passage, l’interdit est là et fuir n’est plus possible, alors je saisis les bulles de savon et les couleurs de l’océan, et soudain je respire avec le souffle de poème qui se dépose au creux de mes mains plus doux que le baiser du matin et je sais vers où va le vent des mots.
Je dessine la fêlure de leur voix
Dans ce jardin du souvenir, ces papiers mauves pourraient être effrayants, traces sans sépultures de morts proches ou lointains. Il n’en est rien. En-dessous des noms ; il y a ces images qui flottent dans l’air. Ces idéogrammes témoignent et racontent la vie du défunt, une anecdote, un exploit, un geste tendre, des mots d’amour…. Chacun vient ajouter sa touche, les liens tissés avec le mort. Chacun me raconte son histoire, ces moments qui ont compté dans les deux vies. Quand les dernières paroles sont parties avec le vent, je prends mon pinceau et pendant qu’ils s’éloignent, je dessine non seulement ce qu’ils ont dit, mais aussi la fêlure de leur voix.
(texte au dos de cette carte postale)
Photo du jour le 7 septembre 2012
Dans ce atmosphère de fin d’été, je regarde mes enfants jouer au loin sur la passerelle, je me sens étonnamment calme, je n’ai plus peur pour eux, il y a quelque temps je n’aurais pas supporté qu’ils soient si loin, qu’ils jouent en hauteur, qu’ils ne m’écoutent pas, je leur en aurait voulu pour cette insouciance, cette joie d’être au monde, ces rires sans raison, ma seule obsession aurait été de le protéger de tous les dangers, j’aurais envisagé les pires scénarios et même j’aurais inventé des risques potentiels, l’essentiel aurait été qu’il soit tout prêt de moi et le plus calme possible sans être inactifs afin de neutraliser mes pensées les plus sombres, maintenant qu’il pleut des étoiles dans ma tête, je souris et je me sens heureuse de les voir vivre, je somnole dans l’herbe sans inquiétude car nous sommes plusieurs à les surveiller du coin de l’oeil, la journée s’est passée en douceur autour de cette ballade et du pique-nique, tout à l’heure quand je serais moins fatiguée j’irais les rejoindre pour m’amuser avec eux et les prendre dans mes bras, on regardera ensemble le Soleil se coucher et disparaître.
photo du jour de @jn sur instagram le 7 septembre 2012
Taxidermie
Ces vacances en Bretagne ont été un vrai bonheur. Quand nous n’étions pas à la plage, nous jouions dans la campagne ou dans l’immense par de la maison de Yannick. J’adorais la cabane au bord de la mer avec ses volets bleus. J’aurais préféré y dormir plutôt que dans le château à l’ambiance froide et étrange. Tous les murs étaient couverts de tableaux, de trophées d’animaux ou de livres. Aucun espace pour respirer. Les meubles étaient vieux. Ils ressemblent à ce que l’on voit dans les musées quand on y va avec l’école. C’est dire. La nuit, je fais des cauchemars où je vois des animaux empaillés se promenant dans les couloirs. Et puis, il y a la sœur de Yannick, pâle et habillée de blanc. Elle ne sort jamais.
(d’après une création postale d’Isartpostal)
Art postal: qui êtes-vous?
Il y a le choc de la catastrophe. Tout est démoli. Je me réveille et j’erre dans les ruines du raz de marée. Le plus effrayant est d’être seule. Personne à qui parler. Dans les décombres, je vois les restes d’un téléphone. J’aimerais avoir quelqu’un à rassurer, un ami à appeler, un patron à prévenir. En même temps, cette solitude me rend plus légère face à la destruction du monde qui m’entoure. Je n’ai plus aucun repère face à ce paysage bouleversé. Une joie étrange m’envahit et je marche avec une intensité accrue dans mon regard. J’attends le changement. Après plusieurs heures d’errance dans un état de fatigue extrême, je rencontre un homme qui me demande : « Qui êtes-vous ? ». Je réponds : « Votre prochain amour. »
(création d’Isartpostal)
Des murs qui parlent
C’est ici que le poète pesait les âmes de ses compagnons d’enfermement. Sa cellule était couverte de textes, du délire au poème en passant par les recettes de cuisine. Au détour de ce palimpseste infini, on pouvait lire – paraît-il, car les autorités ont fait repeindre la cellule à la hâte –le nom des compagnons exécutés ou « disparus ». Les morceaux joués par l’orchestre de la prison figuraient aussi, toujours du classique. Le poète écrivait tard dans la nuit, même quand la lumière avait été éteinte. Et puis, quand le grattement du poète contre le mur s’est arrêté, ils ont su que la catastrophe était proche. Tout le monde a été libéré et ils se sont retrouvés dehors, perdus, face à un monde incompréhensible. Ils n’avaient plus de mémoire. Sans le poète, ils ne savaient plus qui ils étaient. Ils avaient perdu le sourire. Les compagnons d’infortune du poète eurent beaucoup de mal à se disperser et bien plus tard ils sont venus tous les ans visiter la prison-musée.
Photo du jour 07 octobre 2012 – La rêveuse
à Cécile-Anne H.
La rêveuse est assise dans son jardin. La rêveuse se remémore le livre qu’elle vient de terminer. Une nième variation sur l’amour qui triomphe malgré les obstacles. La rêveuse attend les enfants qui rentrent bientôt de l’école. Ce livre l’a troublé plus qu’elle ne l’aurait imaginé avec ses questions existentielles. Dieu, et tout ça, la rêveuse n’y croit pas mais quand même le doute s’est installé. Il y a peut-être quelque chose plutôt que rien. Et si le coeur n’y est pas, la rêveuse s’est faite belle pour le repas de ce soir. Ses invités. La lassitude la quitte un peu quand elle entend le portail du jardin. Les enfants. C’est l’heure du goûter pour tout le monde.