Petits papiers

Petits papiers sur un mur en bois

C’est notre secret. Ces mots doux. Ces mots fous. Ces mots tendres. Notre amour est impossible et pourtant, il brille dans nos yeux chaque fois qu’on se croise. Alors, on s’échange ces mots tendres dans cet endroit secret. Je ne sais plus qui a eu l’idée mais c’était plus sûr que les lettres qui tombent quand on se croise. C’est un vrai défi de trouver sur quoi écrire puis ensuite de s’isoler pour faire quelques phrases. Les mots d’amour d’abord, fulgurants et simples. Quelques notes du quotidien, cette survie sans l’autre. Des confessions parfois, sur soi et sur son histoire d’avant la rencontre. Des rêves, plus rarement, sur l’aujourd’hui ou sur demain. De la peur bien sûr, que tout cela finisse d’une manière ou d’une autre. Ces mots éparpillés sur cette cabane en bois, c’est notre histoire, éphémère peut-être mais si vitale.

(texte sur carte postale)

Photo du 23 septembre 2012: le funambule

Le Funambule

Il me fallait ce moment de légèreté, impérativement, le seul de la semaine, la plage, la mer, le sable sous les pieds, le vent sur le torse, l’apaisement de la nage, tout cela ne suffisait pas à oublier, un quotidien vide de sensations, depuis longtemps je voulais m’élever sur un fil pour me sentir léger et tromper l’ombre des jours malheureux, j’ai appris grâce à un circassien de passage, il a dit être épaté par ma volonté d’apprendre et par la rapidité avec laquelle j’avais saisis l’essentiel, une fois parti j’avais persévéré et me voici maintenant suffisamment à l’aise pour rester plusieurs minutes au-dessus du sol, être funambule, et là, je ne pense plus à rien, je me sens souffle d’air, je m’absente du monde, je le regarde avec un tel détachement que j’ai l’impression de ne plus en faire partir, je suis léger et hors du temps pendant ces quelques pas au-dessus du vide, je m’imagine grain de sable qui s’envole et disparaît.

 

Photo du jour le 24 août 2012: le coucher de soleil

Cela aura pu être la fin des vacances, si seulement elles avaient commencé, je venais de ramasser des kilos de fruits de mer pour les touristes, je faisais semblant d’être le roi du pétrole, d’être un oiseau qui s’envole, d’être comme tout le monde, en vacances, le coucher du soleil ne me faisait pas rêver, c’était le signal m’imposant de rentrer chez moi, je n’avais pas le droit de traîner en route, de jouer sur la plage, de parler à quelqu’un, je devais rentrer fissa point barre et sans oublier la paie, papa refaisait les comptes toute de suite en arrivant, il ne devait rien manquer sinon c’était la rouste illico presto, il n’y allait pas de main morte, puis papa partait, me laissant seul avec maman prostrée dans un coin, cela faisait des années qu’elle ne disait plus un mot, qu’elle fixait le sol, aucune expression sur son visage, je devais la forcer à manger, faire le ménage, me laver et il ne me restait plus qu’à me coucher, ce soir j’avais une pépite à savourer juste avant de m’endormir, revoir le coucher de soleil et le sourire de la petite fille que j’avais croisé tout à l’heure.

d’après la photo du jour le 24 août 2012 par @coro_coro et @luka04 sur Webstagram

Photo du jour le 1er juillet 2012: les flammes de l’été

Même si l’hésitation n’est plus de mise, tout concoure à me faire regretter -un peu- de quitter Paris, les amis qui ne cessent de m’inviter à dîner, les rues qui deviennent vivables en cette période estivale, le coucher de soleil sur la tour Eiffel que je suis en train de dessiner, il y a aussi le sourire de cette jolie femme, mon appartement grand et pratique, les épiceries du quartier, mais je me sens piégé, pris dans la nasse de cette vie frénétique, grisante, enivrante malgré tout mes efforts je suis emporté par le futile, les tentations et les relations sociales si faciles, je n’arrive pas à finir mes projets de bandes-dessinées, et puis le présent est trop éprouvant, je n’arrive plus à trouver ce brin de légèreté pour supporter telle ou telle contrainte, je ne sais plus attraper ce grain de folie qui me fait aimer mon métier, qui me permet de créer toutes ces histoires, qui fait que je me sens exister, et quand respirer devient difficile, quand être soi-même devient un effort, quand se perdre dans le mensonge des autres nous guette, alors il faut partir, suivre les flammes de l’été, celles que j’ai esquissées au-dessus de la tour Eiffel.

d’après la photo du jour le 1er juillet 2012 par @petrichor218_gi sur Webstagram

Photo du jour le 22 juin 2012: il y a de l’amour dans l’air

cette photo est dans l’album de famille et elle me donne le vertige, je suis très mal à l’aise quand je la regarde, je reconnais les lieux, pas le couple, il y a pourtant de l’amour dans l’air, l’idylle est figée à jamais dans ce noir et blanc, l’amour est éternel mais fragile à la fois, il va peut-être la lâcher dans la seconde qui suit et prendra fin la belle image, elle va peut-être se dégager pour s’enfuir à la nage, tout est figé et mensonger à la fois, je suis très mal à l’aise, je ne reconnais pas le couple dans ces souvenirs de famille, je n’ai ni fille ni fils, des amis, de vagues connaissances, des inconnus pris à leur insu juste pour la beauté de l’image, ma femme et moi n’avons jamais réussis à vivre cette insouciance, il a fallu tout de suite prendre la vie au sérieux et être des adultes, le boulot et l’argent étaient les seules choses qui nous préoccupaient, nous vivions à 200 km/heure, la folle illusion que c’était cela la vie, que les enfants seraient des fardeaux, que les amis devaient être à la hauteur de nos ambitions et de notre standing, on fait le vide et les connaissances que nous avons maintenant sont superficielles, liées aux circonstances, chaque fois que nous changeons de villes et parfois de pays, c’est sans état d’âme que nous changeons aussi le cercle de nos amis, aujourd’hui ma femme est partie avec l’un de ces “amis” sans un mot et sans regret, je suis très mal à l’aise, et cette détonation dans mon coeur m’anéantit avec une telle intensité que je sens bien que je perds la tête, je suis très mal à l’aise, j’ai le vertige, je tombe, sans savoir si cela va s’arrêter

d’après la photo du jour le 22 juin 2012 par @lisabiasio sur Webstagram

Photo du jour le 16 juin 2012: prendre la pose

aujourd’hui j’hésite, il est là derrière moi à prendre sa photo, cette photo qu’il veut partager avec le monde entier en l’envoyant sur internet, il est là sur l’un des lieux les plus intimes de mon enfance, celui où j’ai appris à nager, celui des vacances insouciantes, celui où j’ai rêvé ce moment avec mon amoureux, l’un à coté de l’autre à regarder silencieusement passer les nuages, aujourd’hui je ne sais plus si je suis encore amoureuse, je prends la pose pour qu’il puisse crâner sur les réseaux sociaux, je fais aussi une pause dans ma tête, je suis là avec lui et pourtant je me sens si seule, je n’ai rien de particulier à lui reprocher, rien de grave, les broutilles du quotidien, je n’attends pas non plus les flammes de la passion, je n’ai plus d’illusion, aujourd’hui nous sommes loin l’un de l’autre, lui sur internet avec son smartphone, moi ici à repasser les moments de bonheur vécus auprès de ce lac, aujourd’hui j’hésite à continuer avec lui, qui est là derrière moi créant une fausse image du bonheur que des milliers de gens vont peut-être “aimer”.

d’après la photo du jour le 16 juin 2012 par @catherinedut sur Webstagram

Photo du jour le 09 juin 2012: je rêvais d’une autre vie

Je rêvais d’une autre vie, tous les dimanches en me promenant dans le musée du Louvre, je me rêvais une vie d’artistes faite de péripéties et de pérégrinations formidables, je rencontrais plein de gens et je séduisais les femmes, il me fallait changer d’époque parfois mais ce n’était pas si difficile, je rêvais d’une autre vie depuis tant d’année, c’était un petit viatique à ma solitude, il y avait tant d’histoires à se raconter que je n’étais jamais rassasié, en hiver il me fallait supporter le retour de nuit avec des rues presque vides, le rêve se brisait dans le crépuscule de la ville, mon appartement vide achevait le travail de sape… et puis, il y eu ce couple de japonais qui me demanda de les photographier, ils parlaient bien français, sans y penser, nous nous sommes retrouvés dans un restaurant, la soirée a été très chouette et depuis je ne me sens plus si seul, et j’irais peut-être un jour chez eux au Japon, chercher d’autres vies à rêver…

d’après la photo du jour le 09 juin 2012 par @nestelou sur Webstagram

Photo du jour le 27 mai 2012: larmes du ciel

ce soir là, le ciel pleurait plus que moi, ce soir-là, je m’étais faite belle, trop belle pour lui, on dirait qu’il n’a rien vu, trop préoccupé par les mots qu’il voulait me dire, qu’il m’a dit, qu’il m’a craché, ce soir-là, il a tourné la page, il m’a effacé de son univers, avec la gomme qu’il utilise pour ses personnages dessinés, ce soir-là j’ai moins pleuré que ce que je n’aurais cru, il était si glacial et si lointain, je ne pouvais rien regretter, le ciel était triste à ma place, comme pour éviter les derniers adieux dans la rupture, je me suis levée sans crier gare, ce soir-là j’ai eu le courage de partir sans demander mon reste, j’ai ignoré ses appels, la bassesse de ses injures et j’ai souris quand il a terminé par quelques balbutiements sourds, à bout de souffle, une fois dehors je me suis sentie bien sous la pluie, la ville pleurait à ma place et mes sombres pensées s’enfuyaient dans la nuit, ce soir-là j’ai pris la décision de prendre en main mon destin.

d’après la photo du jour le 27 mai 2012 par @mustafaseven sur Webstagram

Photo du jour le 17 mai 2012

Je suis toujours ému quand je reviens à Rouen,quand je vois l’usine, quand je sens la flamme, mes mains tremblent, mon corps se souvient, ma vue se trouble, le travail était rude, exténuant, horrible, mais je l’aimais, j’aimais cette peur d’y aller, le risque quotidien, parfois minute par minute l’angoisse qui monte, la mort qui rode autour de cette flamme au-dessus de nous, le patron avait beau dire et avait beau promettre le risque zéro, personne n’était dupe et nous étions solidaires, la peur nous soudait au-delà de toute autre considération, alors l’usine et les environs sont moches, alors l’usine est critiqué par tous, même au-delà des écologistes, alors l’usine nous a tous détruit un peu, beaucoup, à la folie, mais nous l’aimions notre usine et nous l’avons défendu maintes et maintes fois, je me souviens de ce piquet de grève où l’on s’est rencontré et aimé pour la première fois, et maintenant j’apprends qu’elle doit fermer pour des raisons financières et je suis écoeuré, je viens pour me battre, je viens pour ne pas sombrer à nouveau dans la folie, je viens pour essayer d’oublier et tourner la page d’un passé resté tapi au creux de l’estomac.

d’après une photo de @monnalisa, photo du jour le 17 mai 2012 sur Webstagram

Ce n’était pas ma destination

Ce n’était pas ma destination, toute la nuit avait été absurde, une errance idiote, pire qu’un rêve angoissant, je cherchais d’autres mots pour fuir ces phrases lancinantes qui m’obsédaient, presque sans fin, sauf lorsque les étoiles filantes faisaient leurs apparitions, alors je courais le plus vite possible, ce n’était pas ma destination, je marchais dans Montréal dans le noir sans avoir l’impression que cela puisse finir, c’était pourtant comme rêver en plein jour, les personnes et les objets se diffractaient à une allure fantastique, allant même jusqu’à se mélanger dans une sarabande menaçante, pire que l’angoisse de mourir, au-delà des peurs enfantines qui m’assaillaient chaque fois que j’apercevais au loin un chat noir au pas décidé, ce n’était pas ma destination, mes pas m’amenaient pourtant bien vers cet immeuble, je ne faisais que repousser de plus en plus fort l’approche finale, les détours n’y faisaient plus rien, je savais que ma maison était définitivement là.
3/3
d’après le journal de Montréal, inspiré de la photo Ref:275617