Il avait oublié de fermer sa fenêtre à la tombée de la nuit la plupart du temps ce n’est pas gênant il faut vérifier si un scolopendre ou autre petite bestiole n’est pas venu se glisser dans le lit ou au pied du bureau la c’est l’invasion biannuelle des fourmis volantes il a le cerveau tétanisé les poumons se serrent la respiration devient sifflante il doit vite trouver son inhalateur il se sent envahi de partout la fenêtre se ferme sur la troupeau d’immeubles il doit maintenant réviser ses partiels l’appartement est suffisamment aéré il va dans l’autre pièce sans fenêtre où il a installé son bureau justement pour pouvoir se concentrer plus facilement il regarde le ciel bleu layette juste avant le couché de soleil à droite de son ordinateur il cherche l’inspiration pour son poème en cours d’écriture il se sent pénétré par la douceur du ciel la fraicheur du thé vert encore dans sa bouche enveloppe son matin d’hiver ce dimanche si paisible où la neige n’est pas encore tombée il sait que le cimetière se cache juste derrière l’arbre il le voit en hiver quand les feuilles sont tombées il repense à ses parents morts à quelques mois d’intervalles très vite sans signes avant coureur il ouvre les yeux en pensant à la mer caraïbes si proche qu’il pourrait presque entendre le ressac dans sa chambre il a son cours de voile cet après-midi il attend avec impatience le moment où le vent sur sa peau guidera sa navigation et les réglages de son dériveur sa respiration apaisée grâce au médicament il détruit méthodiquement les fourmis volantes et celles qui ont déjà perdues leurs ailes il sait qu’il ne pourra pas s’endormir tant qu’il ne sera pas sûr des les avoir toutes éradiquées il allume sa plaque électrique pour faire chauffer sa soupe en sachet il faut déjà nuit dehors et il se sent seul il entend vaguement le bruit des autres locataires chacun de sa chambre chacun dans sa bulle il vient de finir de relire Les Frères Karamazov il doit maintenant écrire sa dissertation dont il n’a pas encore compris le sujet il allume la télé pour regarder Nulle part ailleurs et s’amuser un peu avant de passer une partie de la nuit à écrire sur Dostoïevski enfin allongé dans son petit lit en bois il est soulagé de s’être débarrasser des fourmis il espère que le sommeil viendra vite il espère un nuit sans cauchemar soudain sans savoir d’où lui vient cette interrogation il commence à se demander pourquoi il vit pourquoi il vit ici maintenant pourquoi il est là et pas ailleurs ce matin l’arbre est nu et il ne cache plus le cimetière vide personne il n’aime pas les cimetières il y va juste pour les enterrements pour soutenir les vivants il entend passé une voiture dans la rue principale du lotissement il aime ce bruit qui augmente puis diminue sorte de parenthèse dans le joyeux silence.
Deux parallélépipèdes enchâssés l’un sur l’autre, l’un minéral et mystérieux avec ses petites meurtrières en guise de fenêtres, l’autre blanc et translucide tant il y a de baies vitrées qui reflètent les arbres, les gens, les maisons alentours, les oiseaux et le ciel. Cette grande médiathèque qui abolit les frontières intérieures et extérieures avec le dehors qui se diffracte à l’intérieur sur les alignements plus ou moins homogènes que forment d’autres parallélépipèdes que sont les livres, les CD et les DVD. Telles des ombres vivantes dans cet aquarium où sont réfugiés les histoires rêvées et savantes du monde, les femmes et le hommes sont des silhouettes floues à la recherche de leur incarnation.
Ce que je préfère, c’est le massage des vagues la nuit, aucune autre perturbation, le vent fort lui m’affole et me bouleverse en dispersant mes grains de sable à tout va, au petit matin je frissonne sous les pattes des crabes, j’essaie vainement de comprendre si leur trajet m’envoie un message, et puis je tremble à l’arrivée des voitures et des hommes qui en sortent, petits ou grands, ils n’ont de cesse de courir vers la mer, observer les pieds de tout forme me distrait un moment puis je me lasse de ces va et vient perpétuels sans autre logique que d’alterner plongeons et bronzages, le pire vient des enfants qui me triturent, me creusent ou me sculptent, je n’en peux plus des châteaux de sable et autres digues, des mots d’amour et autres kyrielles de prénoms… en revanche, j’attends avec impatience et je me passionne pour les jeux de ballons divers et variés, j’admire l’adresse et la dextérité dont je ne suis pas capable, je suis jaloux des rire et des connivences que cela créent entre joueurs, moi désespérément immobile, soumis aux aléas des courants marins et du vent, que j’aimerais pouvoir virevolter, danser, me jeter par terre, tourbillonner au sol et enchaîner figures ou cabrioles, parfois en fin de journée quand le calme revient, je me sens lourd et inutile, encore plus insignifiant que tous les rochers qui m’entourent.
Un soir d’été alanguis l’un à coté de l’autre trop chaud douceur des caresses chercher la bonne musique paresser en écoutant Bashung vertige draps froissés finir de s’embrasser chercher un peu de fraîcheur écouter la respiration de l’autre mélanger nos doigts ce petit souffle dans le cou « à l’arrière de l’auto » riff de guitare violon accordéon l’accord emporte un nouveau rêve demi-sommeil qui attend respirer le nez soudain dans les cheveux « hennir » la fraîcheur ne vient toujours pas
Il faudrait s’asseoir CHAISES je ne sais pas choisir laquelle elles sont trop nombreuses dans cette grande pièce vide sans personne CHAISES qui s’enfuient et me font peur il n’y a personne dans la grande pièce vide trop nombreuses les CHAISES je voudrais m’asseoir car je suis fatigué j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq mes pensées sont désordonnées pas comme ces CHAISES en rang et impressionnante d’immobilité je pourrais en déplacer une oui mais laquelle et cela se verrait une manque dans cet amas de CHAISES qui n’ont pas toutes la même forme certaines sont confortables et moelleuses d’autres sont carrées et dures comme du granit il faudrait s’asseoir je suis si fatigué je n’en peux plus d’avoir errer dans la ville toute la journée impatient de venir ce soir comment trouver sa place au milieu de ces CHAISES pas un bruit à peine l’écho de mon souffle affolé plutôt épuisé mon souffle à bout de souffle et mon corps rêve de CHAISES
Hypothèse n°1 – la femme à la chaise.
Le narrateur serait en train de mourir. Sa mémoire étant déjà vacillante, il se souviendrait à la fois de moments importants de sa vie mais il aurait aussi des images plus anecdotiques qui s’imposeraient sans aucune logique.
Le narrateur s’enregistrerait sur des cassettes audios pour ne pas oublier. Parfois il revient en arrière pour écouter à nouveau un des moments forts. Il aurait des larmes. Parfois il appellerait à l’aide et une infirmière viendrait le rassurer et lui donner des médicaments.
Le lecteur pourrait avoir l’impression que c’est un fou qui délire mais non il s’agit bien d’un homme de plus de 90 ans qui est au seuil de la mort. Seul. Il n’attendrait aucun visite. Il aurait juste cet enregistreur. Le narrateur aurait écris sur la paume de sa main: « méfie-toi tu es déjà mort ».
Le narrateur parlerait toujours de la même femme, son premier amour, qu’il a rencontré alors qu’elle se promenait dans la rue avec une chaise. Il la suivra jusqu’à ce qu’elle s’assoie dans un parc public. La narrateur lui aurait fait une déclaration d’amour à cette occasion.
La femme, une antillaise, lui aurait dis un flot de phrases en créole, pour finir par un défi dit en français: « si tu me retrouve en Guadeloupe, nous nous marririons. » Puis elle disparut si vite que le narrateur avait cru à un sortilège. Il aurait récupérer la chaise vide pour la ramener chez lui. Depuis le narrateur ne s’assiérait plus que sur cette chaise. Ce qui est embêtant quand il est hors de chez lui, soit il amène partout sa chaise, soit il reste debout.
Après avoir fait des économies, il serait parti en Guadeloupe avec sa chaise comme seul bagage en soute. Il aurait erré sur l’île en long et en large, il en aurait même fait le tour à la nage. Ce qui n’est pas facile avec une chaise sur le dos. Rien à faire. Introuvable. A force de marcher, le narrateur serait devenu très maigre. Il paraît que Giacometti l’a croisé lors d’un séjour en Guadeloupe et se serait inspiré de lui pour ses silhouettes qui marchent.
Un jour de canicule alors que le narrateur repassait pour la énième fois dans l’allée Dumanoir, une palme lui est tombé sur la tête et il se serait évanoui. Ce serait ce moment-là que choisis la femme à la chaise pour ré-apparaitre, lui reprendre sa chaise et lui donner un baiser qui le réveilla.
Hypothèse n°2 – La pièce de théâtre
Le narrateur viendrait de rencontrer une femme et lui ferrait des confessions sur sa vie. Il lui murmurerait des moments de son passé mais aussi des rêves qu’il aimerait accomplir ou lui raconterait à sa manière un moment passé ensemble comme leur deuxième nuit d’amour et de tendresse.
Il lui décrirait les lieux de son enfance. D’un tempérament angoissé, il lui raconterait ses angoisses existentielles. Au fur et à mesure, le lecteur découvrirait un héro tourmenté qui écrit du théâtre et qui s’allège de ses souffrances passées.
Outre les moments intimes avec sa compagne, il y aurait le récit des répétitions de la pièce qui se développerait aussi à partir des improvisations et des accidents sur scène. Le texte se terminerait par la représentation finale avec le narrateur en récitant et sa compagne en étoile filante venant dire des poèmes énigmatiques à différents moments. La pièce ferait aussi parlé des objets ou des éléments du décor y compris le sol qui serait un témoin important de l’histoire.
Hypothèse n°3 – En attendant la fin
Il s’agirait d’un écrivain en panne d’inspiration qui erre dans La Rochelle. L’écrivain observerait les passants et les immeubles notant tout azimut des idées sur un carnet rouge. En rentrant dans son appartement, l’écrivain, dans la frénésie de la marche, commencerait à écrire un texte et puis… soudain au bout de quelques minutes, il s’arrêterait comme figé.
Dans son bureau, il s’accumulerait ainsi plein de textes inachevés ou en suspend. L’écrivain essaie régulièrement d’en reprendre l’un ou l’autre en partant des notes prises sur le vif. L’un ou l’autre texte avancerait de manière laborieuse sans que l’auteur soit satisfait. Les ratures ne seraient pas rares.
L’écrivain aurait du mal à fin ses textes. Il lui arriverait aux heures des doutes les plus douloureux de vouloir tout brûler ou d’embaucher un nègre ou de plagier ses auteurs favoris.
L’écrivain finirait par prendre une drogue euphorisante dont nous tairons le nom. Grâce à elle, il terminerait son premier roman intituler « En attendant la fin » qui eut un petit succès critique auprès de chercheurs en littérature contemporaine, d’écrivains marginaux comme François Bon et d’infirmières insomniaques qui accompagnent les malades vers la mort.
Après ce livre, personne n’aura plus de nouvelles de cette auteur qui s’est volatilisé dans la nature.
Hypothèse n°4 – Jouir avec Dostoïevski
Hypnotisé par la boule à facettes et en transe à force d’avoir danser, la narratrice rêverait d’une nuit d’amour en bord de mer. Entre deux baisers, d’abord chaste puis de plus en plus intense, elle imaginerait des histoires pour son amant. Dans un premier temps, elle broderait à partir de ce qu’elle voit autour d’elle. La fatigue lui ferait beaucoup parlé de chaises, de canapés, de bancs, de lits, de hamacs, de transats, de fauteuils moelleux, de banquettes confortables et de matelas rebondis. Pendant les préliminaires, elle réciterait des poèmes connus par coeur de René Char, d’Aimé Césaire, de Lionel Ray ou de Jeanne Benameur avec sur le bout de la langue cette envie des les mélanger pour en créer de nouveaux, quelques fois ce sont des chansons de Bashung, de Nougaro ou de Souchon qui sortiraient entre deux petits râles de plaisir. A la première pénétration, elle convoquerait les classiques de la littérature Proust, Stendhal, Hugo, Hémingway, Nabokov et à l’approche de la jouissance ce sont les russes Dostoïevski, Tchekhov, Tolstoï ou Boulgakov.
Dans la phase d’apaisement, elle se rêverait navigatrice en solitaire, danseuse étoile, écrivaine à succès, chanteuse de charme ou astronaute juste avant de s’évanouir sur la piste de danse de la boite de nuit.