Le dernier vélo

J’ai rêvé du dernier vélo, cette nuit craquante où tout a pris fin, être le dernier des hommes et fuir dans une ville absolue, noyée d’enseignes lumineuses, creuse et sans âmes qui vivent, fuir à la recherche du moyen de fuir, de rattraper la vie, fuir à la recherche du sens de cette disparition, fuir contre le trop plein d’images et de sons qui poursuit la moindre parcelle de nos instants, fuir contre l’occupation permanente de mon cerveau par les conversations destructrices, fuir contre la destruction de mes sens, fuir pour s’enfuir loin des lieux communs de plus en plus vide, fuir l’incompréhension des âmes errantes sans conscience et trouver comme un soulagement le dernier vélo en liberté, regarder tremblant ce dernier vestige d’un passé libre.

inspiré du photoblog Strawberry Fields, d’après la photo Sans titre du 04-12-2006

Gangrène blanche

Un soir de folie, j’ai gratté cette photo,

noyer mon désarroi dans la blancheur, rire de la menace des couleurs, griffer ces silhouettes qui font semblant, les formes massives s’évanouissent dans l’imprécision, les lignes droites s’arrondissent comme des volutes, le halo translucide installe un doux confort

enfin je relâche ma respiration
un jour rester calme dans cette confusion volcanique qui m’enserre.

d’après le photoblog Beaucoup d’images sur pas grand chose, inspiré de la photo White flash sees sky

Gondolier rupestre

Je me promène à Venise comme dans une caverne préhistorique, on dirait les traces vivantes d’un monde en train de mourir, à chaque coin de rue, je vois un masque decomédia del’arte , j’entends déclamer des poèmes tristes sur l’amour, plus loin un cortège funèbre semble saisis d’une beauté romantique, plus tard je reste longtemps à contempler unpalazio luttant de toutes ses forces contre la chute de ses lambeaux de pierre, plus fatigué je suis prêt à me jeter dans le canal quand surgit tel un djinn ce gondolier chamarré flottant dans la lumière et transportant simplement toutes les merveilles du monde,

pour ceux qui savent regarder on peut distinguer son empreinte sur certaines façades loin des rues encombrées.

 d’après les photos d’Ernest Haas, inspiré de la photo Shadow Gondolier dans la série Europe de la Color Gallery

Faim de désert

J’accepte sans restriction le bonheur d’être là, ce désert qui est devenu ma sensuelle amie, ces frères de la soif qui m’aiment, me soutiennent et m’ont accepté comme nulle part ailleurs, je suis heureux dans l’atmosphère frénétique des transactions commerciales, je flâne dans ce foire, qui buvant le thé à la menthe, qui riant d’une nouvelle blague, qui devisant sérieusement sur la météo, qui donnant l’accolade à un nouveau venu, qui chuchotant des mots taquins à une jeune fille, qui m’arrêtant pour noter quelque chose sur mon cahier, enfin insouciant

d’après les photos d’Ernest Haas, inspiré de Camel Fair, Pushkar , Pakisthan (1972) dans la série Asia de la Color Gallery

Se faire un film

Je ne cours pas, je danse légèrement, mon pas accélère pour arriver vite, être présent, être là, je laisse glisser mon parapluie sur la grille du parc, le tac-tac-tac-tac-tac… résonne avec mon coeur, je jubile de la rencontre à venir, mes lèvres forment et déforment les mots qui bouleversent mon cerveau, ébullition des sentiments sautillant avec ma main incontrôlée, je fends la nuit à la vitesse d’un oiseau, je rie, je chantonne, je tremble, je ne dois pas courir, je frissonne d’être dans ses bras, à l’approche du lieu de rendez-vous je me contrains à ralentir, je veux déguster chaque seconde et chaque gorgée d’air commune, il m’attend, j’entends flotter ses cheveux, comme au cinéma, je me repasse la scène à venir, un travelling subjectif où je rentre dans la cours, le bruit de mes talons claquant le sol, je passe la scène en noir&blanc, c’est plus romantique, il se tourne et je l’embrasse dans son sourire, « coupé! la scène est bonne, on la garde ». L’appareil photo à la main, je prends ce fragment de temps suspendu, cette joie calme qui nous attend.

d’après le photoblog JENRIKS24hphoetry, inspiré de la photo Sneaking

l’énigme du declic

Comprendre les mouvements de lumière, jour après jour descendent et disparaissent de mon horizon, halo beaux et terribles, jour après jour descendent et dansent dans mon horizon, silences flottant et craquant le béton, descendent et menacent mon horizon, se dégager de la fascination des formes changeantes, tristes, joyeuses, indifférentes, criantes, chantantes, dangereuses, descendent et envahissent mon horizon, ne pas croire que ces fantômes de lumière sont nombreux, multiples, une immensité qui s’assemble, une multitude énigmatique qui attend l’assaut, un grand nombre qui encercle, cette quantité qui surveille et observe sans bienveillance, descendent et s’apprêtent à attaquer mon horizon, pourtant ces vibrations lumineuses ne peuvent pas s’échapper du cadre noir, quitter l’immeuble, sortir de la photo, aller au-delà des néons qui les invoquent,… et pourtant, elles sont l’inquiétude qui déclenche le déclic.

d’après le photoblog petermartin.dk, inspiré de la photo Descending Ghosts

Violente harmonie

Sa musique dans la rue comme une bulle de violence, la beauté tonitruait dans sa trompette, son souffle en folie décrivait les courbes sensuelles qu’il croisait, ses notes ornaient le beau soleil de rayons joyeux, ses délires crescendos oudé-crescendos faisaient rires les passants, les notes tenues perturbaient ceux qui étaient retranchées derrière leurs baladeurs, son ivresse contestatrice avait gagné plusieurs habitants d’Aars et des instruments sortaient de tout les cotés accompagner ces pérégrinations dorées, sans respiration la ville virevoltait sous l’assautcacophonique avec un entrain révolté… alors il posa dans un silence sec son instrument sur le bitume, il n’a pas bougé depuis, symptôme d’une harmonie vibrant dans la cité.

d’après le photoblog de petermartin.dk , inspiré de la photo Sunny Silver Trumpet

distorsion

Je me perds dans les images distendues de mon miroir, impossible d’y être seul, mon reflet perdu au milieu d’images lancinantes quifaseyent et effacent mon visage, impossible de s’incarner, les paysages, les objets, les photos, les évènements, les moments sont incertains, se succèdent et décèdent implacables, ce kaléidoscope est plus rapide que la pellicule d’un film, enchaînement effréné des fragments, impossible superposition de ma vie, je voudrais que tout s’arrête le temps d’un clic.

d’après le photoblog de Jon Swainson, inspiré de la photo distorsion

délavée

le temps affadi est cette couleur enclose qui rouille, clôture de l’horizon qui fond en poussière, lavage après lavage nos espoirs se décapent, certains rires s’incarnent de bois, d’autres bouts de vie ne sont plus que des touches à peine colorées, nos peines sont profondément incrustées dans la matière, échardes saillantes visant notre corps fragile, pouvoir étreindre les chairs teintées avant de s’éteindre, extinction de toutes les couleurs, la main s’approche pour résister au délavé

d’après le photoblog de Jon Swainson, inspiré de la photo Time Capsule

rêverie

Chaque fois que je vois tes cheveux, mon rêve fuit, une douceur qui vole sans disparaître comme les gestes quotidiens sur la chaîne du travail,   et de la vie, quand parfois je capte ton regard,      nos bouches se sont presque déjà rejointes,   jamais tu n’esquive mon corps meurtri par l’usine,   tes yeux semblent revenir d’un rêve   d’une joie qui vient d’ailleurs   quand parfois, je prendsl’appareil photo, tu prends ton rôle au sérieux      tu sais que j’oublie enfin la rude existence pour tenter de capter      le craquement émerveillé de notre couple      quand les images reviennent du développement tu es toujours fière de nous

d’après le photoblog Crina Photography, inspiré de la photo Rêverie