1/ La gare
J’attends devant le panneau d’affichage. Le brouhaha du retard résonne autour de moi. La foule est tendue d’impatience. Le ballet des hommes-valises s’est suspendu plein de menaces. Une petite fille rieuse serpente avec sa poupée, chatouillant les pantalons, les robes, les bagages et les murs. Elle sarabande une petite danse avec sa poupée en chiffon. L’annonce micro crée un raz de marée engloutissant l’enfant dans les escaliers. J’attends maintenant pour lui rendre sa poupée.
2/ Le train-1
Ses yeux ouverts ne regardent pas le paysage. Son visage est découpé de rides horizontales. Ses rêves ne sont que des soucis. La jeune femme noire ne voulait pas partir. Elle a pris très peu de bagages. Cela ne va pas duré longtemps. Elle repartira très vite. Forcement. Juste accomplir son devoir. Juste quelques euros pour la belle vie. Décidément elle est ailleurs. Son coeur et son âme ne sont pas partis. C’est tout juste si son corps traîne dans ce train. Bien rester refermer sur soi. Ne pas prendre le risque de ne pas pouvoir revenir. Son chez soi est malheureux mais c’est son chez soi.
3/ le train-2
Travailleur fatigué aux odeurs de chantier, il expie sa condition dans un sommeil sans repos. Il est affalé sans retenu sur les deux places de son côté. Quand le train s’arrête en gare, il sursaute d’angoisse et demande si c’est Strasbourg. On le rassure. Il marmonne un merci dans un accent difficile à déterminer. Son sac est grand et gonflé de protubérances. Démarrage sans avoir bouger d’un iota. Son corps ballote d’épuisement. La nuit tombe et le train continue. Il sursaute et demande Strasbourg. Toutes les dénégations le rassurent. Il tremble encore quand le sommeil le rattrape à nouveau. Le froid nocturne gagne le wagon. Il est le seul à ne pas se couvrir. Le train ralentit. Il sursaute. Strasbourg? Je lui fais signe que non. Prochaine? Non! Encore deux arrêts. Il respire. En montant les escaliers avec ma lourde valise, je regarde disparaître le train. J’ai peur pour lui.
4/l’arrêt de bus
Énervement et piétinement. Le bus n’est pas en retard mais il me tarde. La musique ouate mon cerveau de basses répétitives. J’oublie l’ennui sur les bancs de l’amphi. Mais il y a ces voitures, toutes ces phares qui passent et repassent devant. J’ai l’impression que tout le monde m’observe. Je piétine. Aucunes connaissances dans le flot automobile. Impossible de pleurer ma douleur, mon humiliation, ma haine. Les boucles électro de mon baladeur abritent ma rage. Je reste hypnotisé par le mouvement incessant des voitures qui entre en résonance avec la musique. Une portière s’ouvre devant moi et sans réfléchir, je monte.
5/le film
Mal assis devant ce maelström d’images, je suis fasciné. Laura Dern et son expression suspendue dans un malaise. Ce plateau de cinéma devient un lien incertain entre le tournage et une autre réalité. Est-ce la réalité ou un fantasme en trompe-l’oeil? Laura Dern est un spectre facétieux qui se cherche et se démultiplie d’identités en identités. Son visage n’est qu’une ampoule instable qui disparaît parfois dans le noir de la pellicule. Je me noie dans une mise en abîme impossible, rêve de cinéma qui rêve d’un cinéma qui regarde lui-même disparaître ses fantasmes dans un téléviseur qui montre Laura Dern essayant de sortir de son film ou du fantasme de film. Toutes ces images animées et sonores sont un kaléidoscope d’énigmes dont seul notre inconscient peut faire son miel, à notre insu. Nous ne sommes qu’un rêve de cinéaste.
d’après la contrainte 169 (ci-après) de l’atelier proposé sur la Zone d’Activité Poétique de Pierre Ménard.
« Ecrire une suite de courtes nouvelles, gouffres et bonheurs simples sous forme de micro-fictions, où s’enchaînent événements absurdes, souvenirs infimes, portraits savoureux, récits insouciants s’inscrivant dans les interstices d’un quotidien que l’on observe avec gravité et légèreté. »