Fermer les yeux

Fermer les yeux
une heure, quelques minutes ou un instant
… écouter le monde
ses fragments sonores
l’air qui s’enfuit entre les obstacles
les insectes qui se posent et déposent leur malédiction
les oiseaux qui chantent à en perdre la tête
les moteurs qui mugissent de leur soi-disant immortalité
les hommes qui parlent de larmes et d’espoirs
l’avion qui s’envole défier les Dieux
et son propre corps
dont on a peur à chaque seconde
d’entendre le silence

inspiré de la série imaginaryplay d’Anna Hurtig, d’après la photo imaginaryplay

ivresse de l’insouciance

Je m’amusais tellement ce temps-là
à grimper ces buttes
pour m’emplir de la puissance du vent
Je m’amusais à courir en tout sens
pour attraper les souris, les oiseaux,
l’écume de mer
Je m’amusais tellement à courir
de rires en rires
pour attraper l’ivresse de l’insouciance
et quand j’écris
il y a toujours cette part d’enfance
qui envahit mes mots

inspirée de la série imaginaryplay d’Anna Hurtig, d’après la photo Hills to climb

Le rire s’émiette

Le rire s’émiette
pressant un zeste
de légèreté dans nos têtes

s’enivrer de ces particules d’espoir
qui nous tendent un délirant miroir
de toutes les joies qu’on attend

Entre deux bourrasques

Entre deux bourrasques
le soleil hypnotise
faisant diversion
à l’orage qui vient
retenant son grondement
dans une noirceur d’encre
les nuages n’attendent que
les déséquilibres
pour lâcher les tentacules
du tonnerre.

des murs qui parlent

C’est ici que le poète pesait les âmes de ses compagnons d’enfermement. Sa cellule était couverte de textes, du délire au poème en passant par les recettes de cuisine. Au détour de ce palimpseste infini, on pouvait lire – paraît-il, car les autorités ont fait repeindre la cellule à la hâte –le nom des compagnons exécutés ou « disparus ». Les morceaux joués par l’orchestre de la prison figuraient aussi, toujours du classique. Le poète écrivait tard dans la nuit, même quand la lumière avait été éteinte. Et puis, quand le grattement du poète contre le mur s’est arrêté, ils ont su que la catastrophe était proche. Tout le monde a été libéré et ils se sont retrouvés dehors, perdus, face à un monde incompréhensible. Ils n’avaient plus de mémoire. Sans le poète, ils ne savaient plus qui ils étaient. Ils avaient perdu le sourire. Les compagnons d’infortune du poète eurent beaucoup de mal à se disperser. Ils reviennent tous les ans visiter la prison-musée.

à partir de la création d’art-postal visible ici

« votre prochain amour… »

Il y a le choc de la catastrophe. Tout est démoli. Je me réveille et j’erre dans les ruines du raz de marée. Le plus effrayant est d’être seule. Personne à qui parler. Dans les décombres, je vois les restes d’un téléphone. J’aimerais avoir quelqu’un à rassurer, un ami à appeler, un patron à prévenir. En même temps, cette solitude me rend plus légère face à la destruction du monde qui m’entoure. Je n’ai plus aucun repère face à ce paysage bouleversé. Une joie étrange m’envahit et je marche avec une intensité accrue dans mon regard. J’attends le changement. Après plusieurs heures d’errance dans un état de fatigue extrême, je rencontre un homme qui me demande : « Qui êtes-vous ? ». Je réponds : « Votre prochain amour. »