survivre

la guerre a tout détruit, même les ruines de chez moi sont en sursis, j’entends la fureur de la fin qui s’approche, la douleur revient parintermittence , j’ai tellement mal, impossible de décrire ce qui me fait le plus mal, la balle qui remue mes entrailles, la main cassée qui pend au poignet, une partie à vif de mon crâne, ou… je ne compte plus les blessures, je serre de toutes mes forces ce dictaphone, la fleur qui est si belle se dresse pour survivre, capter le peu de lumière sous les nuages de la guerre, disséminer ses pollens sous le moindre coup de vent, je cherche mes mots pour dire l’émotion, ma mémoire est trop fatiguée, je pleure en sachant que cela ne s’entendra pas, il ne me reste qu’à prendre une photo et espérer qu’elle disperse très loin sa douleur de vivre

d’après le photoblog Lost in Pixels, inspiré de la photo I will survive

empreinte

j’ai presque
on me croit
je suis l’ombre de mon poids
relief disparu
je marche translucide
la glace n’a pu m’atteindre
le corps froid, le cerveau en ébullition
je suis suspendu à la frontière
…//…
personne ne m’écoute
quand je gratte l’écorce givrée
cherche à exhumer le sable
à peine refroidi de
j’y suis presque
si seulement
si d’autres mains existaient

d’après le photoblog Lost in Pixels, inspiré de la photo Man on the Moon

cimetière

assis dans mon cimetière, j’essaie de me souvenir de qui je suis, de ce que je viens faire là tous les jours, on me croit venu pour me recueillir, je ne connais personne ici, j’ai eu si peu d’amis, je les compte sur les doigts d’une main, ils sont loin ou déjà morts, j’essaie de me souvenir si c’était de vrais amis, l’automne est l’horrible saison des incertitudes, entre l’été et l’hiver la nature se pare de ses beaux atours pour cacher son désespoir à s’enlaidir, on me prend pour un bon petit vieux, j’essaie de me souvenir de pourquoi j’ai vécu, quelques bricoles, deux ou trois belles choses, beaucoup de méchanceté, j’essaie de me souvenir le pourquoi de mon caractère exécrable, je n’y arrive plus, même pleurer ou donner le change je ne peux plus faire, je marche sous les arbres, je flâne entre les tombes de ceux qui sont déjà morts, comme moi, j’ai oublié trop de choses pour me repentir.

d’après le photoblog photos>mdny, inspiré de la photo Fall Afternoon in Green-Wood Cemetary

rayer l’espace

danser et tournoyer
à force d’enthousiasme, de déséquilibres heureux
le vertige bleu nous envahit
les lumières de la ville jouent avec notre regard
les glissements sur la glace jouent avec nos oreilles
les frottements de l’air jouent avec notre peau
douceur du cocon glacé qui nous enveloppe
ravissement de pouvoir jouer avec l’air
qui frémit de nos crayons de couleur
rayer l’espace de nos mouvements
tracer notre vertige, puis
au prochain tour, nous écrirons un mot d’amour.

inspiré du photoblog photos>mdpny, d’après la photo On a Cold Night, Movement on the Rock Center Ice Rink

confetti

bulles de joie dansant une sarabande
entendez-vous les rires
petits boutons sur bonheur bleu
chanter sans oublier
passé qui compte sans être grave
l’insouciance n’est pas qu’une parenthèse
c’est le pari d’une euphorie
celles de mains qui jettent
jour après jour
leurs soucis vers le ciel
pour goûter le plaisir incroyable
de voir leurs couleurs se dissoudre

d’après le photoblog Photo>MDNY, inspiré de la photo Lunar New Year Confetti Against a Blue Sky

dénouer

mains qui s’épuisent à nouer encore et toujours, attention maladive portée aux noeuds, l’accident, traumatisme, nouer, nouer, nouer, encore et encore, nouer, se protéger, se cacher derrière la forêt de cordes bien circonscrite, taire le reste, tout le reste, incapacité de parler de soi, ne parler de rien d’autres que du travail et des banalités, vérifier les noeuds, y penser tout le temps, concentration, pas le droit à l’erreur, la viecourt-circuitée par les noeuds, rêver d’être sauvé par un noeud, peur lancinante du silence des cordes qui se nouent, la culpabilité grignote jour après jour, ce qui est autour de, ne jamais être soulagé des noeuds solides et de leurs sempiternels vérifications, mais oublier que les attaches rouillent et qu’elles lâcheront un jour, bien avant qu’on ait pu dénouer les fils de ses obsessions

d’après le photoblog take by fake, inspiré de la photo fishing ground macro

modern times

débris de mon délire
mes cercles de folie
tourner, assembler, vérifier, tourner
mon corps mécanique sans fin
vie machinale qui tourne
dents qui broient corps, cerveau et

cassure insensée
musique effondrée sur le macadam
je n’étais pas rouillé

d’après le photoblog take by fake, inspiré de la photo modern times

cri du déclic

dentelle de glace
rythme craquant des espoirs
monde monochrome
sourde fissure
goutte après goutte
la folie fond et refuse
la pulpe givré prévient
l’horizon s’arrête au blanc
rites immobiles
négation des contrastes
blanc qui crie
déclic qui oublie
le crime, simple m entre le cri et e

d’après le photoblog take by fake, inspiré de l’image ice world macro

micro-fictions

1/ La gare
J’attends devant le panneau d’affichage. Le brouhaha du retard résonne autour de moi. La foule est tendue d’impatience. Le ballet des hommes-valises s’est suspendu plein de menaces. Une petite fille rieuse serpente avec sa poupée, chatouillant les pantalons, les robes, les bagages et les murs. Elle sarabande une petite danse avec sa poupée en chiffon. L’annonce micro crée un raz de marée engloutissant l’enfant dans les escaliers. J’attends maintenant pour lui rendre sa poupée.

2/ Le train-1
Ses yeux ouverts ne regardent pas le paysage. Son visage est découpé de rides horizontales. Ses rêves ne sont que des soucis. La jeune femme noire ne voulait pas partir. Elle a pris très peu de bagages. Cela ne va pas duré longtemps. Elle repartira très vite. Forcement. Juste accomplir son devoir. Juste quelques euros pour la belle vie. Décidément elle est ailleurs. Son coeur et son âme ne sont pas partis. C’est tout juste si son corps traîne dans ce train. Bien rester refermer sur soi. Ne pas prendre le risque de ne pas pouvoir revenir. Son chez soi est malheureux mais c’est son chez soi.

3/ le train-2
Travailleur fatigué aux odeurs de chantier, il expie sa condition dans un sommeil sans repos. Il est affalé sans retenu sur les deux places de son côté. Quand le train s’arrête en gare, il sursaute d’angoisse et demande si c’est Strasbourg. On le rassure. Il marmonne un merci dans un accent difficile à déterminer. Son sac est grand et gonflé de protubérances. Démarrage sans avoir bouger d’un iota. Son corps ballote d’épuisement. La nuit tombe et le train continue. Il sursaute et demande Strasbourg. Toutes les dénégations le rassurent. Il tremble encore quand le sommeil le rattrape à nouveau. Le froid nocturne gagne le wagon. Il est le seul à ne pas se couvrir. Le train ralentit. Il sursaute. Strasbourg? Je lui fais signe que non. Prochaine? Non! Encore deux arrêts. Il respire. En montant les escaliers avec ma lourde valise, je regarde disparaître le train. J’ai peur pour lui.

4/l’arrêt de bus
Énervement et piétinement. Le bus n’est pas en retard mais il me tarde. La musique ouate mon cerveau de basses répétitives. J’oublie l’ennui sur les bancs de l’amphi. Mais il y a ces voitures, toutes ces phares qui passent et repassent devant. J’ai l’impression que tout le monde m’observe. Je piétine. Aucunes connaissances dans le flot automobile. Impossible de pleurer ma douleur, mon humiliation, ma haine. Les boucles électro de mon baladeur abritent ma rage. Je reste hypnotisé par le mouvement incessant des voitures qui entre en résonance avec la musique. Une portière s’ouvre devant moi et sans réfléchir, je monte.

5/le film
Mal assis devant ce maelström d’images, je suis fasciné. Laura Dern et son expression suspendue dans un malaise. Ce plateau de cinéma devient un lien incertain entre le tournage et une autre réalité. Est-ce la réalité ou un fantasme en trompe-l’oeil? Laura Dern est un spectre facétieux qui se cherche et se démultiplie d’identités en identités. Son visage n’est qu’une ampoule instable qui disparaît parfois dans le noir de la pellicule. Je me noie dans une mise en abîme impossible, rêve de cinéma qui rêve d’un cinéma qui regarde lui-même disparaître ses fantasmes dans un téléviseur qui montre Laura Dern essayant de sortir de son film ou du fantasme de film. Toutes ces images animées et sonores sont un kaléidoscope d’énigmes dont seul notre inconscient peut faire son miel, à notre insu. Nous ne sommes qu’un rêve de cinéaste.

d’après la contrainte 169 (ci-après) de l’atelier proposé sur la Zone d’Activité Poétique de Pierre Ménard.

« Ecrire une suite de courtes nouvelles, gouffres et bonheurs simples sous forme de micro-fictions, où s’enchaînent événements absurdes, souvenirs infimes, portraits savoureux, récits insouciants s’inscrivant dans les interstices d’un quotidien que l’on observe avec gravité et légèreté. »