Je suis toujours ému quand je reviens à Rouen,quand je vois l’usine, quand je sens la flamme, mes mains tremblent, mon corps se souvient, ma vue se trouble, le travail était rude, exténuant, horrible, mais je l’aimais, j’aimais cette peur d’y aller, le risque quotidien, parfois minute par minute l’angoisse qui monte, la mort qui rode autour de cette flamme au-dessus de nous, le patron avait beau dire et avait beau promettre le risque zéro, personne n’était dupe et nous étions solidaires, la peur nous soudait au-delà de toute autre considération, alors l’usine et les environs sont moches, alors l’usine est critiqué par tous, même au-delà des écologistes, alors l’usine nous a tous détruit un peu, beaucoup, à la folie, mais nous l’aimions notre usine et nous l’avons défendu maintes et maintes fois, je me souviens de ce piquet de grève où l’on s’est rencontré et aimé pour la première fois, et maintenant j’apprends qu’elle doit fermer pour des raisons financières et je suis écoeuré, je viens pour me battre, je viens pour ne pas sombrer à nouveau dans la folie, je viens pour essayer d’oublier et tourner la page d’un passé resté tapi au creux de l’estomac.
d’après une photo de @monnalisa, photo du jour le 17 mai 2012 sur Webstagram