La boite à livres : quelle (fausse) bonne idée!
Les boites à livres sont un sujet qui fâche de nombreux bibliothécaires, qui irrite et qui agace la profession… nous avons l’impression que certains décideurs (élus, direction générale, direction de la culture, direction de la communication, …) veulent remplacer la création d’une bibliothèque voire substituer la bibliothèque existante, qui ne veut pas ouvrir 24 h sur 24, par ce mobilier urbain si peu coûteux et si séduisant au premier abord.
En effet, la boite à livre est l’archétype de la fausse bonne idée, car elle semble avoir des nombreuses qualités :
– mobilier peu coûteux même si on essaie de faire un mobilier beau et visible.
– quasiment pas d’entretien. Un petit coup de peinture de temps en temps
– fonctionne en autonomie et sans budget de fonctionnement : les habitants déposent leurs livres et prennent ce qui les intéressent pour les ramener ou pas. Pas de personnel et pas de logiciels pour enregistrer les prêts. Pas de budget pour acheter des livres
– cerise sur le gâteau : la boite à livre, c’est de l’économie circulaire, du circuit court, du local et du développement durable. La boîte à livres favorise l’échange d’objets à durée de vie réduite.
La boite à livre, c’est le mal absolu ! Ce n’est pas une bibliothèque !
Piqué au vif et attaqué sur l’aile de sa reconnaissance professionnelle, le bibliothécaire ronchon déroule alors ses arguments contre la boite à livres :
– le choix est restreint : beaucoup de fictions et rarement des nouveautés. Peu de documentaires et de revues.
– il n’y a que des livres laids et obsolètes. De nombreux habitants y déversent le grenier de leurs grands-parents avec des livres en mauvais état, des reliures très laides type Club du livre, des poches aux pages jaunies, des documents dépassés (Guide Juridique, dictionnaires ou Vidal des années 50, Encyclopédie en plusieurs volumes…), des livres jeunesse gnangnan (certains auraient même vu des albums de Martine, mais ils ne sont plus là pour témoigner, car ils ont été victimes d’un des monstres de Lovecraft connus pour fréquenter régulièrement les boites à livres.), des revues à moitié déchirées, des annales du bac des années 1980, etc. Dans le meilleur des cas, nous y trouvons des classiques de la littérature dans des éditions un peu défraîchies ou des livres récents (de 1 à 5 ans) en état correct. Tout cela parce qu’on ne jette pas des livres, c’est sacré !
– le risque d’y trouver des ouvrages sectaires ou de sciences parallèles, des prospectus commerciaux en tout genre
– le choix n’est pas stable, et même si nous avons vu un livre susceptible de nous intéresser, nous ne sommes pas sûrs de l’y retrouver la prochaine fois, alors qu’en bibliothèque, on peut réserver !
– le choix dépend beaucoup des dons et peut très bien ne pas changer pendant des mois. Le lecteur flâneur peut finir pas se lasser de ne rien trouver de nouveau. Parfois la boite est peu remplie et il ne reste que des livres en mauvais état ou très vieux. Parfois, la boite déborde, mais on n’y trouve quand même rien d’intéressant pour-soi.
– etc. j’en oublie certainement.
Tout cela est juste et logique, car une boite à livre n’est pas une bibliothèque… Voilà le problème majeur qui nous agace fortement, la boite à livres ramène la bibliothèque à une simple collection de livres alors qu’elle est bien plus.
Comme le dit si bien la Loi de la sénatrice Sylvie Robert :
“Les bibliothèques (…) ont pour missions de garantir l’égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs ainsi que de favoriser le développement de la lecture.
A ce titre, elles :
1/Constituent, conservent et communiquent des collections de documents et d’objets, définies à l’article 4, sous forme physique ou numérique ;
2/ Conçoivent et mettent en œuvre des services, des activités et des outils associés à leurs missions ou à leurs collections. Elles en facilitent l’accès aux personnes en situation de handicap. Elles contribuent à la réduction de l’illettrisme et de l’illectronisme. Par leur action de médiation, elles garantissent la participation et la diversification des publics et l’exercice de leurs droits culturels ;
(…)
Les bibliothèques transmettent également aux générations futures le patrimoine qu’elles conservent. A ce titre, elles contribuent aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion.
Ces missions s’exercent dans le respect des principes de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, d’égalité d’accès au service public et de mutabilité et de neutralité du service public.”
Je m’arrête là, il y aurait tant à dire.
Laissons les boites à livres aux romantiques et continuons à rendre crédibles nos bibliothèques comme lieu de partage, d’animation et d’ouverture sur le monde.
Arrêtons d’essayer de lutter contre les boites à livres ou de vouloir les éliminer, laissons les vivre et mourir (comme dirait James Bond) ou au pire vivoter. Si nous en avons la responsabilité, faisons-en un outil attrayant avec un choix sérieux et large. De toute façon il sera forcément moins large, moins diversifié et moins pérenne qu’une bibliothèque.
Utilisons plutôt notre énergie pour faire de l’advocacy en faveur des bibliothèques dont les collections sont choisies, organisées, éclectiques ou diversifiés et stables à moyen ou long terme.
Mais surtout, les bibliothèques sont bien plus qu’une collection, mais un lieu de vie, de partage, de découverte, d’animations, d’apprentissage, d’accès au numérique, d’éducation, d’échanges intergénérationnels… vers l’infini et au-delà.
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